La neige tombe silencieusement. Après quelques épisodes pluvieux que nous espérions depuis le printemps 2017, la neige a fait son apparition, un jour « fruit » en lune croissante,le jour de notre mise en bouteille des Réal blanc et rosé 2017 fraichement distingués par une médaille d’Or au CGA de PARIS.
Retour sur une année 2017: quelle année, quel millésime, quelles épreuves pour notre équipe et pour nos vignes, année de contrastes où alternent les satisfactions et les douleurs.
Satisfaction de planter enfin nos parcelles Haut de Farnoux
et Haut du Collet, le potentiel « terroir » de chacun de ces deux lieux-dits est bien là, je le sens, je le sais, rien de palpable, rien de mesurable, tout en sensitif, instinctif, intuitif, comme poussé par une voix silencieuse, forte, puissante. Satisfaction d’observer le « regain » de notre vignoble, applications plus affinées des préparas, meilleure lecture de nos différents sols, de leurs besoins en matière d’interventions.
Satisfaction de discerner les itinéraires de vinification et d’élevage plus en adéquation avec nos parcelles. Magnifique tension et pureté que la Jarre de terre apporte à notre Clos Blanc,
expressions complexes et beaucoup plus typées apportées par nos « levains indigènes » dont les caprices sont vite oubliés lorsque le vin est dans le verre, qu’il soit Réal ou Clos réal.
Satisfaction de voir nos vins 2016 distingués par de nombreux guides et de fins palais, de constater que nos cuvées parcellaires parviennent à s’immiscer au sein de beaux établissements, de voir nos Réal demandés par nombre d’amateurs lassés par des vins standardisés.
Satisfaction enfin de récolter des raisins à l’équilibre parfait, malgré les affres climatologiques. Cette année encore, je remercie les vignes âgées, pH étonnants, pas trop de sucres, maturation lente voir très lente. Au final, un petit décalage de quelques jours par rapport aux années précédentes mais sans lien avec la période de sécheresse que nous avons eu. Du jamais vu en Provence. 2003 n’était qu’une « entrée ». Le plat de résistance nous l’avons eu et il faudra en tirer les conséquences pour l’avenir.
L’équipe reste la même : une famille, avec « Juju », « Loulou », « Michel », « l’ardéchois Guillaume » et « chef ».
Douleur de constater que le gel n’épargne ni les vieilles vignes, ni les jeunes, ni les plants de l’année dont les pointes vertes régulières faisaient notre admiration quelques semaines après leur débourrement.
Douleur de reconnaitre qu’à l’époque où l’on parvient à observer et qualifier les ondes gravitationnelles, les tests œnologiques sont incapables de conclure avec certitude à la stabilité protéique d’un vin. Trouble, louche, cotonneux… Autant de mots pour décrire le désastreux résultat d’un printemps caniculaire. Retours, excuses, le « naturel » oui mais finalement non ! Surtout pour le rosé.
Douleur encore lorsqu’après 6 arrosages au pied et des préparas censés limiter l’effet de la sécheresse, nous constatons qu’une partie importante de nos plants meurent de dessèchement. Seules les marcottes semblent « tenir ». Nous constaterons à l’automne que des très vieilles vignes sont également mortes.
Les années se suivent mais ne se ressemblent pas, une nouvelle fois le blanc et le noir, l’obscur et la lumière, le pessimisme et l’optimisme.
Optimistes nous le sommes en ce début d’année, les vins 2017 se goutent remarquablement bien.
Nos rosés 2017 ont été distingués par une médaille d’Or et une médaille d’Argent aux CGA de Paris, le blanc Réal 2017 vient d’être soutiré et mis en bouteille, les clos continuent leur élevage avec des batonnages plus ou moins réguliers, aucun pour les œufs et les jarres.
Dans les vignes , après les préparas et les composts,
toutes les parcelles ont été déchaussées puis rechaussées avant l’arrivée de ce grand froid de février. Les pluies salvatrices de ce début d’année ont permis de faire ces travaux de décompaction. « Pluie ou neige en février valent du fumier ». Heureux nous sommes de sentir, de voir ces socs entrer dans la terre, la retourner. Elle sent bon, elle est parfois fine, parfois collante, parfois pâteuse, tantôt claire, tantôt foncée.
Extraordinaires ces instants, presque magiques, mystiques selon l’humeur. À l’instar de Candide se couchant entre deux sillons pour observer la neige, je prends un peu de temps pour photographier ses résultats de « designer naturel ». À nouveau je constate le blanc et le noir, elle efface les contours des choses mais elle les reforme, elle fige les choses mais les protège, elle est silencieuse mais ce silence ressemble à une musique, elle apaise mais fait ressurgir des instants de vie bruyants et dynamiques, se rappelle à moi des souvenirs et cette chanson magnifique de Monsieur Claude NOUGARO :
Oh la neige !
Regarde la neige qui tombe…Cimetière enchanté fait de légères tombes
Elle tombe la neige, silencieusement
De toute sa blancheur d’un noir éblouissant
La neige…
Les yeux les mieux ouverts sont encore des paupières,
Et Dieu pour le prouver fait pleuvoir sa lumière
Sa lumière glacée, ardente cependant,
Cœur de braise tendu dans une main d’argent
La neige…Elle vient de si haut, la chaste damoiselle,
Que sa forme voilée d’étoiles se constelle,
Elle vient de si haut, cette sœur des sapins,
Cette bombe lactée que lancent les gamins,
Elle vient de si haut, la liquide étincelle,
Qu’au sommet de la terre elle brille éternelle,
Brandissant son flambeau sur le pic et le roc
Comme la liberté dans le port de New York
La neige…Meneuse de revue aux Folies Stalingrad
Descendant l’escalier des degrés centigrades,
Empanachée de plumes, négresse en négatif,
Elle dansait un ballet angélique, explosif
Pour le soldat givré, agrippé à son arme,
Œuf de sang congelé dans un cristal de larmes,
Elle danse la neige, dans la nuit de Noël,
Autour d’un tank brûlé qu’elle a pris pour chapelle,
La neige…Tout de suite moisson, tout de suite hécatombe,
Oh la neige ! Regarde la neige qui tombe…